La résolution amiable des contentieux d’affaires : la solution adoptée par le droit des entreprises en difficulté
Un succès pérenne
Afin d’éviter de recourir à l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire), la pratique a développé des dispositifs de traitement anticipé et amiable des difficultés de l’entreprise. Ce traitement particulier regroupe deux procédures, le mandat ad hoc et la conciliation. Ces procédures dites de prévention s’appuient sur l’intervention d’un tiers appelé, selon le cas, mandataire ad hoc ou conciliateur, chargé d’analyser la situation de l’entreprise, de préparer avec le chef d’entreprise un plan réaliste de redressement financier, économique et social et de mener des négociations afin d’obtenir l’accord des créanciers sur les modalités d’apurement du passif (aménagement des modalités de paiement, remises de dettes…).[1] Le plus souvent, le mandataire ad hoc ou le conciliateur est un administrateur ou mandataire judiciaire inscrit sur la liste nationale.
Par simple dépôt d’une requête, ces procédures permettent ainsi au chef d’entreprise de se placer sous la protection du tribunal afin de négocier, entre autres, le remboursement de dettes sous l’égide d’un professionnel de la restructuration.[2] La spécificité de ces procédures tient en ce qu’elles sont ouvertes à la demande du dirigeant, confidentielles et s’inscrivent dans un cadre juridique flexible, abandonné à la liberté contractuelle et aux initiatives des parties prenantes. En cas de succès des négociations, elles aboutissent à la signature d’un protocole d’accord négocié avec les créanciers et partenaires de l’entreprise.
Depuis plusieurs années, le législateur s’emploie à encourager et favoriser le recours à ces dispositifs de traitement des difficultés car ils aboutissent le plus souvent au sauvetage de l’entreprise et une préservation des emplois. Le taux de réussite de ces procédures atteindrait 70%.[3]
Ces dernières années, afin de s’adapter au contexte de la crise sanitaire, le droit des entreprises en difficulté a été réformé à plusieurs reprises, de façon temporaire ou permanente, par plusieurs ordonnances (ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 ; ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 ; ordonnance n° 2020-1443 du 25 novembre 2020 ; ordonnance n° 2020-1193 du 15 septembre 2021). Ce faisant, certaines dispositions ont renforcé l’attractivité de la conciliation en permettant d’en accroître sa durée ainsi que la protection du débiteur – suspension ciblée des poursuites d’un créancier, obtention plus aisée des délais de paiement, etc.
Au cours des dix dernières années, le succès du recours aux procédures amiables de traitement des difficultés est évident. Sur le plan national, on observe ainsi une augmentation de près de 100% des ouvertures de mandat ad hoc et conciliation :
Année | Mandat ad hoc | Conciliation | Total procédure amiable | Total procédure collective |
2008 | 939 | 500 | 1439 | 55.395 |
2010 | 1422 | 715 | 2137 | 60.199 |
2012 | 1465 | 747 | 2212 | 61.046 |
2014 | 1505 | 932 | 2437 | 62.650 |
2016 | 1475 | 1278 | 2753 | 57.987 |
2018 | 1601 | 1262 | 2863 | 54.017 |
2020 | 1870 | 1893 | 3763 | 49.790 |
2021 | 2009 | 1612 | 3621 | 27.285 |
Source : Ministère de la Justice, Exploitation statistique du répertoire général civil, années 2008 à 2018 ; Chiffres clés de la Justice de 2008 à 2021 ; Référence statistique justice, 2019 ; Stat Info Banque de France, suivi mensuel des défaillances ; Insee Statistiques et études, Défaillances d’entreprises, données mensuelles de 2000 à 2021.
Cette tendance s’est confirmée ces deux dernières années. A titre d’illustration, dans le seul ressort du Tribunal de commerce de Paris, il est remarqué une augmentation significative en 2021 du nombre d’ouverture de procédures amiables – près de 250 en 2021 contre à peine plus de 150 en 2019.
Paradoxalement et a contrario, les conséquences de la crise sanitaire liées à la pandémie de Covid-19 n‘ont pas accru le nombre de défaillance d’entreprise. Bien au contraire, seulement 27.000 ouvertures de procédures collectives ont été recensées au cours de l’année 2021. Cela représente une baisse de près de 50% par rapport à l’année 2019 (55.000), période antérieure à la pandémie.
Dans le ressort du Tribunal de commerce de Paris, le constat est identique. A peine plus de 2.000 procédures collectives ont été ouvertes en 2021 contre près de 2.500 en 2020 et près de 3.500 en 2019.
Cette diminution s’explique notamment par la mise en place de nombreux dispositifs publics de soutien aux entreprises : chômage partiel, fonds de solidarité ou encore prêts garantis par l’État (PGE).
Les multiples justifications du succès
Le tropisme des entreprises en difficulté pour la résolution amiable repose sur plusieurs facteurs : la confidentialité (jusqu’à homologation d’un accord le cas échéant), la célérité, la souplesse et le coût attractif de ces procédures.
Principe majeur des modes amiables, la confidentialité – vis-à-vis des fournisseurs, des clients, partenaires de l’entreprise et établissements bancaires et financiers – permet la préservation de la valeur de l’entreprise.
A l’inverse, la publicité de la procédure collective a une incidence dépréciative sur la valeur du fonds de commerce ce qui peut mettre en échec les possibilités de redressement.
Le traitement des entreprises en difficulté admet souvent un caractère urgent dans la mesure où l’activité et l’existence de l’entreprise ne sont pas pérennes. Par crainte de ne pas parvenir à faire exécuter des décisions ordonnant à l’entreprise le paiement des dettes, les créanciers sont incités à convenir d’un accord amiable en prévoyant notamment un échelonnement accepté par le débiteur. La nature de ces relations créancier-débiteur tend à favoriser le recours aux modes amiables dans la mesure où l’objet n’est pas d’obtenir raison juridiquement mais d’obtenir le paiement de dettes, le plus rapidement et certainement possible.
Les procédures amiables sont très appréciées par les créanciers puisqu’ils conservent leur droit d’ester en justice et partant, leur pouvoir de négociation. Effectivement, ces recours à des modes amiables n’entraînent pas l’arrêt temporaire des voies d’exécution contrairement aux procédures collectives.[4] S’agissant des PGE, l’arrêté du 8 juillet 2021 permet un allongement de sa durée de remboursement sur dix ans dans le cadre des procédures amiables.
Par ailleurs, solution concrète, la médiation du crédit créée en 2008 à la suite de la crise financière de 2008, encourage et facilite le recours à la médiation pour les entreprises qui connaissent des difficultés de financement. Ce processus permet notamment de restructurer un PGE sur une durée supérieure à dix ans.
Vers un recours aux modes amiables élargi et sécurisé
La dynamique observée en droit des entreprises en difficulté s’inscrit dans le sillage d’un mouvement global de promotion des modes amiables.
Les incitations au recours à ces modes alternatifs se multiplient. Récemment et à titre d’illustration, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a renforcé la visibilité de la médiation en créant un Conseil national de la médiation.
De même, le 24 janvier 2022, a été annoncée la mise en place d'un comité d'action sur les approvisionnements et les conditions de paiement. Illustration de la légitimité des médiateurs, le comité d’action est coanimé par le médiateur des entreprises et le médiateur national du crédit.
Nécessairement, l’élan insufflé par les entreprises en difficulté en matière de résolution amiable emportera l’ensemble des contentieux d’affaires.
Enfin, l’augmentation du nombre de recours aux modes amiables doit s’accompagner de garanties quant à la qualité d’un tel recours, à savoir la déontologie et les compétences des tiers intervenants. En ce sens, le Sénat propose d’élargir le vivier des mandataires de justice « en recourant notamment aux professionnels du droit et du chiffre ou aux chambres consulaires », à l’instar des experts-comptables ou des avocats.[5]
[1] La procédure de mandat ad hoc ne peut être ouverte lorsque l’entreprise débitrice est en état de cessation de paiements tandis que celle de conciliation ne peut être actionnée que si le débiteur ne se trouve pas « en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours » (article L.611-4 du Code de commerce).
[2] Au tribunal de commerce ou au tribunal judiciaire, selon la nature de l’activité.
[3] N. Borga, A. Niogret et M. Vuillermet, « Mandat ad hoc et conciliation : trouver le point d’équilibre », Revue Lamy droit des Affaires, n°135, 2018.
[4] Article L.622-21 du Code de commerce.
[5] Rapport d’information n°615, Les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19, Recommandation n° 14, 2021.