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Nouveau “In-House Counsel Privilege” en droit suisse

Le Code de procédure civile (CPC), modifié au 1er janvier 20251, a créé un « legal privilege for in-house counsels » au bénéfice des entreprises et de leur département juridique en procédure civile.

Ce nouveau « privilège », en réalité le droit de refuser de collaborer à certaines conditions, vise à supprimer certains désavantages procéduraux que pourraient subir les entreprises suisses dans des procédures civiles à l’étranger, tout en ayant également une portée interne pour les entreprises suisses et étrangère parties à une procédure civile, en Suisse.

Ce qu’il faut retenir et mettre en œuvre au sein de l’entreprise

Depuis le 1er janvier 2025, les entreprises partie à une procédure civile, ainsi que les juristes de formation fournissant des services juridiques à une entreprise dans le cadre de rapports de travail, qu’ils soient ou non titulaires du brevet d’avocat, peuvent refuser de collaborer, notamment de témoigner ou de produire des documents relatifs à l’activité du service juridique interne dans le cadre de procédures civiles si (art. 167a CPC) :

  • l’entreprise est inscrite au registre du commerce ;
  • elle dispose d’un service juridique interne dirigé par une personne titulaire d’un brevet cantonal d’avocat ou remplissant dans son État d’origine les conditions professionnelles requises pour exercer en tant qu’avocat ;
  • les faits concernent une activité juridique typique, similaire à celle d’un avocat externe.

Ce droit n’est pas opposable dans les procédures administratives ou pénales en Suisse ou à l’étranger.

Contrairement à un avocat, tant l’entreprise que le juriste d’entreprise restent soumis à l’obligation générale de collaborer à la procédure (art. 160 CPC) ; ils doivent de ce fait invoquer leur droit de refuser de collaborer au sens de l’art. 167a CPC pour les faits soumis au secret à réception d’une convocation ou d’une ordonnance de production de moyens de preuve, en Suisse ou à l’étranger.

Pour bénéficier de ce droit de refuser de collaborer, l’entreprise doit notamment s’assurer que le chef du service juridique de l’entreprise est titulaire du brevet d’avocat suisse ou qu’il remplit les conditions pour exercer comme tel dans son Etat d’origine.

La direction et les services juridiques des entreprises doivent comprendre la portée du nouveau droit et être apte à s’en prévaloir lorsqu’une partie adverse ou un tribunal ordonne la production de documents émanant du service juridique, ou demande l’audition d’un membre dudit service, notamment en informant adéquatement les avocats étrangers mandatés par l’entreprise en présence de procédure de type « pre-trial discovery » pour que ceux-ci puissent faire valoir ce droit de refuser à collaborer en temps opportun.

La pratique des tribunaux étrangers démontrera si cette nouvelle disposition du droit suisse sera considérée comme une norme assurant aux entreprises suisses une protection égale ou similaire aux legal privilege for in-house counsels, attorney-client privilege et autre work product doctrine des pays de common law et d’autres pays protégeant la confidentialité du travail des juristes d’entreprise.

Contexte du nouveau droit

Le secret professionnel de l’avocat

En droit suisse, seuls les avocats exerçant de manière indépendante et inscrits au registre cantonal des avocats bénéficient de la protection absolue du secret professionnel (art. 13 LLCA2), par opposition notamment au titulaire du brevet d’avocat exerçant comme juriste d’entreprise.

Ce secret est concrétisé en matière civile par une dispense générale, donnée notamment à une entreprise, de produire des documents et échanges avec son avocat (art. 160 al. 1 let. b CPC). Ce dernier peut refuser de collaborer s’il est lui-même partie à la procédure (art. 163 al. 1 let. b CPC) ou s’il est entendu comme tiers à la procédure, notamment comme témoin (art. 166 al. 1 let. b CPC).

Les avocats inscrits au registre cantonal doivent, de ce fait, refuser de répondre aux questions du tribunal ou d’une partie à la procédure sous peine de commettre une infraction pénale (art. 321 CP3), sauf s’ils sont déliés du secret professionnel par leur client. Et là encore, même délié, la décision de témoigner appartient exclusivement à l'avocat : ni le client ni l'autorité de surveillance ne peuvent le contraindre à témoigner4.

Cette protection permet à l’entreprise cliente d’accorder une confiance absolue dans la confidentialité de l’avocat inscrit au registre qu’elle mandate pour la conseiller ou la représenter en justice, quel que soit le type de procédure (civile, pénale ou administrative).

Désavantage des entreprises suisses face aux concurrents étrangers en matière civile

Dans les juridictions de common law, notamment aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne, mais également en Espagne, au Portugal, en Allemagne (pour les « Syndikusrechtsanwalt » inscrits au registre correspondant de la Anwaltskammer), en Belgique et aux Pays-Bas5, les juristes d’entreprise peuvent refuser de collaborer en procédure civile sur les faits qui portent sur les conseils juridiques donnés à leur employeur (« legal privilege for in-house counsels » et « attorney-client privilege » du droit américain ou le « legal advice privilege » du droit anglais)6.

Outre l’attorney-client privilege, les États-Unis reconnaissent également la « work product doctrine » qui protège les données préparées par un avocat externe ou le département juridique d’une entreprise en prévision d'un litige7.

Ces outils permettent notamment aux entreprises des pays concernés de résister à une procédure de « pre-trial discovery », processus judiciaire permettant aux parties d'obtenir des informations pertinentes pour un litige civil en permettant à chaque partie de connaître les preuves et les arguments de l'autre avant d’initier un procès8.

Avant la révision du CPC le 1er janvier 2025, le droit suisse ne consacrait aucun statut ni protection particulière au juriste d’entreprise ni à son activité9. Or, il n’est pas contestable que ce dernier exerce pour certaines tâches, notamment en matière d’enquêtes internes ou de préparation d’une procédure judiciaire, une activité similaire à celle d’un avocat externe puisqu’il prodigue des conseils juridiques pour son employeur. Les échanges entre les juristes internes et la direction d’une entreprise, notamment dans le cadre d’une enquête interne liée à des soupçons d’irrégularités, sont sensibles et peuvent contenir des aveux ou des preuves essentiels à l’issue d’une procédure.

Ainsi, les entreprises suisses étaient fortement désavantagées dans les litiges à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, toute protection leur étant refusée par les tribunaux étrangers au motif de l’absence d’une norme de protection en droit suisse10. Cette disparité légale a placé les entreprises suisses dans une position concurrentielle désavantageuse, en particulier dans des procédures aux États-Unis, aux Canada, au Royaume-Uni de Grande-Bretagne mais également en Espagne, Portugal, Allemagne, Belgique et aux Pays-Bas où les juristes et conseils internes aux entreprises étaient exposés à une obligation de production de pièces et de témoignage en cas de procédure judiciaire.

Il en allait ainsi notamment dans le cadre des procédures de pre-trial discovery pouvant atteindre 90 % du coût total d’une procédure judiciaire de type anglo-saxon11. L’intérêt à pouvoir refuser de collaborer en présence d’informations privilégiées est donc essentiel.

Portée du nouvel art. 167a CPC

L’art. 167a CPC consacre désormais le droit des entreprises, qu’elles soient basées en Suisse ou à l’étranger, et des membres de leur service juridique, de refuser de collaborer et de produire des documents en lien avec l’activité de son service juridique interne dans le cadre de procédures civiles.

Ce « privilège » ne s'étend pas aux procédures pénales ou administratives.

L’entreprise et les membres de son service juridique restent néanmoins assujettis, en vertu de l’art. 160 CPC, à l’obligation générale de collaborer, contrairement aux avocats. Appelée à collaborer, l’entreprise, ou son juriste, devra invoquer à temps – que ce soit dans une procédure civile en Suisse ou à l’étranger – son droit de refuser de collaborer au sens du nouvel art. 167a CPC pour les faits effectivement soumis au secret12.

Pour bénéficier de cette protection, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

Inscription au registre du commerce (let. a)

L'entreprise doit être inscrite comme entité juridique au registre du commerce suisse ou dans un registre étranger équivalent.

En Suisse, toute entreprise inscrite au registre du commerce suisse remplira cette condition. Le législateur a voulu limiter la notion de service juridique interne en la liant à une entreprise disposant d’une certaine organisation13.

Qualifications professionnelles du responsable juridique (let. b)

La personne à la tête du service juridique doit détenir un brevet d'avocat cantonal suisse ou satisfaire aux conditions professionnelles de son État d'origine pour l'exercice de la profession d'avocat.

Le législateur entend garantir par ce critère que le service juridique considéré dispose du niveau de compétences professionnelles requis et vise à assurer que la spécificité de son activité soit connue et reconnue14.

Des incertitudes demeurent encore quant à la définition précise d'un service juridique éligible au secret et si les départements de « compliance » pourront en bénéficier. Si un tel service est intégré dans le service juridique de l’entreprise, la protection ne sera effective que si, pour chaque fait ou moyen de preuve considéré, l’activité relève de l’activité typique de l’avocat15.

Nature des activités juridiques (let. c)

Les activités en question doivent être celles typiquement dévolues à la profession d'avocat, à savoir la représentation en justice, le conseil juridique, la négociation de transactions juridiques et la rédaction d'actes juridiques. Les tâches opérationnelles ou non typiques (activités de gestion de fortune, d’intermédiaire financier ou d’administrateur de société) ne sont pas couvertes par le refus de collaborer, de même qu’elles ne sont pas couvertes par le secret professionnel de l’avocat.

Chaque entreprise doit ainsi veiller, au sein de son service juridique, à la même distinction effectuée par les avocats dans leur Etude, à savoir une séparation physique claire des documents relatifs aux activité « typiques » du juriste d’entreprise, et les activités « atypiques » (non couvertes) de sorte à éviter des mélanges et des tri fastidieux lors d’ordonnance de production de preuve.

L’admissibilité du nouveau « In-house counsel privilege » du droit suisse en matière civile dans les procédures à l’étranger va dépendre de l’appréciation, par les tribunaux étrangers, de la portée de cette norme, notamment si celle-ci correspond aux droits offerts aux juristes d’entreprise dans la juridiction concernée.

Fort de plus de 200 professionnels, le département Contentieux de Charles Russell Speechlys, conseille et représente des clients dans des procédures en Suisse, au Royaume-Uni et dans la plupart des juridictions de common law, notamment aux Bermudes, aux Bahamas, à Singapour et à Hong Kong ainsi qu’en France, en Italie et aux Émirats arabes unis.  

Notre étude se fera un plaisir de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir en rapport avec des questions liées à des productions de preuve dans des procédures étrangères et à la mise en œuvre du In-House Counsel privilege du Code de procédure civil révisé, ainsi qu’en procédure civile en générale.

1 Conseil fédéral, Message relatif à la modification du code de procédure civile suisse (Amélioration de la praticabilité du droit et de l’application du droit), 26 février 2020, FF 2020 p. 2607 ss, p. 2657 s.
2 Loi fédérale sur les avocats (LLCA ; RS 935.61).
3 Code pénal (CP ; RS 311.0).
4 ATF 136 III 296, consid. 3.3.
5 Roman HUBER/Stefanie RIGAUX, Das Verweigerungsrecht im Zusammenhang mit der Tätigkeit eines unternehmensinternen Rechtsdienstes im Zivilprozess (Art. 167a nZPO), in: RSJ/SJZ 119/2023 p. 603 ss, p. 608 ; Institut suisse de droit comparé (ISDC), www.bj.admin.ch/bj/fr/home/publiservice/publikationen/externe/2017-09-11.html (dernière consultation le 24.02.2025).
6 Nicolas JEANDIN, Portée du secret du juriste d’entreprise (CPP, CPC, DPA), in : SJ 2024 p. 841 ss, p. 847.
7 ISDC, footnote 87 p. 17.
8 ISDC, p. 20.
9 Benoît CHAPPUIS/Jérôme GURTNER, La profession d’avocat, Zurich 2021, n° 722
10 Ibid., p. 847.
11 Sur ces questions HUBER/ RIGAUX, p. 607.
12 JEANDIN, p. 857.
13 JEANDIN, p. 857.
14 FF 2020 p. 2607 ss, p. 2658.
15 HUBER/ RIGAUX, p. 607.

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